Ses sens furent brutalisés. Tout était passé de néant à existence. Elle se releva et eut le réflexe superbe de se pencher pour rendre au sol, et non sur son propre corps. Son propre corps oui…
Après être restée un moment à genoux par terre, tremblante, elle se releva difficilement, s’appuyant contre la paroi la plus proche d’elle. Les yeux fermés, la tête baissée, elle posait une main sur son crâne. Cela tambourinait dans sa tête, elle croyait que quelque chose tapait de l’intérieur pour tenter d’en sortir. Elle serrait les dents et appuyait ses doigts contre sa tempe, pensant que cela changerait quelque chose. Penser ?
Elle relevait la tête, plissant les yeux. Voir lui faisait mal au crâne… Elle faisait la grimace et tentait de voir autour. Elle ne se posait pas plus de question. Elle n’était rien, ne savait même pas ce que vivre signifiait.
Elle plaça sa main devant elle, regardant sa paume et son dos, la fléchissant et la tendant. Elle sentait que c’était un peu difficile, mais savait, au fond, que cela le serait moins plus tard. Elle tremblait toujours, le froid l’envahit. Elle eut de nouveau la nausée mais ne régurgita pas son estomac, qui était plus que vide. La faim, l’envahit.
Tous ces besoins primaires… Elle cherchait de la chaleur et de la nourriture. Et aussi à s’éloigner de la puanteur de cette chose qu’elle avait rejeté de son corps.

Un son étrange avait retenti mais elle n’y avait pas fait attention, trop assaillie par son environnement. Une porte s’était ouverte et elle s’y dirigeait, par curiosité et envie de quitter ces lieux. Par miracle elle réussit à mettre un pas devant l’autre sur ses jambes vacillantes. Elle faillit tomber à plusieurs reprises et arriva dans une autre salle. Il n’y avait rien de particulier. Il lui fallait quelque chose pour lui remplir l’estomac…
Une autre sensation étrange lui trottait dans la tête. Une sensation d’existence, une sensation de recherche… Elle cherchait quelque chose oui, en plus de ces besoins primaires. Un motif, une explication. Elle en avait juste une impression, pas une définition exacte. C’était quelque chose de trop abstrait pour elle.
Elle respirait avec beaucoup de mal, une sensation de faiblesse et d’inquiétude s’emparait d’elle à présent. Elle voulait se protéger, elle n’avait rien pour le faire. Sa vision défaillante ne l’aidait pas à rechercher tout ce qu’elle voulait. Car, elle était sûre que tout ce qu’elle voulait n’était que matériel. Son instinct dictait ses actions, lui permettait d’avancer, car seul le vide trottait dans sa tête. Cette tête qui lui faisait si mal… Comment arrêter cela ? Elle se tapa plusieurs fois la tempe.

A bout, elle se recroquevilla sur elle-même, lâchant un gémissement de lassitude douloureuse. Ainsi elle pouvait pousser des sons avec sa bouche. Bouche ?
Elle entendit tout d’un coup un autre bruit et releva brusquement la tête ce qui l’a fit souffrir un peu plus, sa colonne vertébrale craqua.
Son instinct signalait : Danger.

Elle regardait la sortie, se demandant d’où venait le bruit. Elle restait dans cette position, de douleur et de peur aussi. Elle n’osait pas aller voir ce qu’il y avait de l’autre côté. Soudain quelque chose apparut et un cylindre roula jusqu’à elle. Elle eut un sentiment de panique en voyant cette chose venir à ses pieds, mais n’était pas vraiment apte à réagir. Finalement rien ne se passa.
L’alarme finit même par s’arrêter, la soulageant peu à peu… Le silence était vraiment très agréable. Elle tendit une main tremblante vers l’objet et eut du mal à le soulever. Pour se faire elle dut l’amener plus près de son bras, c’était plus pratique de cette façon. Elle eut une sensation étrange en le portant jusqu’à son visage. Elle la connaissait mais… Cela ne lui revenait pas. Par réflexe elle ouvrit le cylindre, et y trouva de l’eau. C’était venu directement à son esprit. Elle savait qu’elle pouvait étancher une autre sensation de son corps, la soif. Elle assimilait cela à la faim.
Après avoir fixé le liquide qui se trouvait dans le récipient et l’avoir flairé, elle se mit à le boire, rapidement. Sa gorge faisait beaucoup de bruit dans le silence qui s’était installé dans la salle. Elle en avait aussi renversé sur elle. Elle ne s’arrêta que lorsqu’il n’y eut plus d’eau du tout. Ensuite elle essuya sa bouche avec la manche de sa blouse blanche, dont elle ne fit pas plus attention.
Elle examina ensuite l’ouverture d’où était arrivée sa boisson. De l’eau était venue de là, d’autres choses pouvaient en provenir. D’autres choses dont elle avait besoin.

Elle se releva donc en s’aidant de nouveau du mur à côté d’elle. Elle se dirigea à pas lents et silencieux vers la porte. Elle trouvait que le sol était froid avec ses pieds nus.
Elle arriva à l’ouverture et vit alors quelque chose qui la déstabilisa.

Il y eut un déclic.

Certaines questions commencèrent à envahir son esprit. La notion d’existence s’empara d’elle et une énigme générale la gagna et se résumait à un mot : « Pourquoi ? ». Alors que toutes ces données refaisaient surface dans son cerveau, d’autres s’agglutinaient encore pour être remémorées elles aussi. En très peu de temps des réponses avaient été fournies et elle s’attardait sur d’autres choses. Après avoir trouvé la réponse à « que suis-je ? », elle observa de nouveau sa main libre et enfin son corps tout entier, dont la blouse blanche, pâle et triste. « Qui suis-je ? » restait néanmoins un mystère, elle n’avait pas encore vu sa plaque d’immatriculation.
Elle avait d’autres sentiments et sensations qui refaisaient surface, des notions surtout, comme si elle le savait depuis toujours et elle trouvait cela normal. Tous ses pressentiments étranges, comme si elle était un corps vide dans lequel on avait inculqué des principes qui n’avaient pas vraiment de sens sans passé. Elle ETAIT quelqu’un, elle en était CERTAINE. Elle voulait comprendre.
Ce besoin humain de toujours vouloir tout connaitre. La recherche de Vérité. Cela pouvait définir son espèce, l’Homme. Et elle ne savait pas vraiment pourquoi, ce n’était qu’un vague pressentiment.

Cette prise de conscience lui faisait beaucoup de bien et la rassurait. Elle s’en voulait déjà d’avoir agi comme un animal, quelques instants plus tôt. Hélas tout lui était encore inconnu, le passé comme le présent, tout comme l’avenir.
C’était comme si l’intelligence lui revenait petit à petit.
Elle était restée silencieuse pendant tout ce temps-là. Elle regarda l’enfant qui lui avait surement rapporté l’eau et lui tendit le récipient vide, s’il était encore là. Elle lui fit un signe de tête de remerciement et resta toujours silencieuse. Elle savait qu’elle pouvait communiquer avec lui, mais elle avait peur de ne plus savoir comment.

Le garçon s’était enfui lorsqu’elle s’était approchée. Elle était restée sur place, continuant de le regarder, le récipient tendu vers lui. Elle ne fit aucun mouvement pour qu’il revienne de lui-même et c’est ce qu’il fit. Il revint tout doucement, apeuré mais courageux. Il tendit à son tour sa main toute tremblante vers l’objet. Elle se mit à sa hauteur, se mettant à genoux pour paraître moins impressionnante pour lui. Ensuite, la jeune femme passa sa propre main sous celle du jeune garçon, très délicatement pour ne pas qu’il ait peur, puis posa l’objet dans le creux de sa main. Elle sourit doucement et sincèrement avant de se lancer, avalant sa salive, un peu gênée :

« - A… Arigatô… »
[M… Merci…]

Sa voix était enrouée, cela faisait un long moment qu’elle n’avait pas parlé à priori. Elle se gratta la gorge pour pouvoir parler plus clairement la prochaine fois. Quelque chose lui disait qu’il ne comprendrait pas forcément. Il ne lui ressemblait pas, à quoi ressemblait-elle déjà ?... Elle regarda autour d’elle pour tenter d’y trouver son reflet, mais rien n’avait cette capacité aux alentours.
Après s’être assurée que l’enfant tenait bien le récipient, elle retira sa main et posa son avant-bras sur sa jambe dont le genou était au sol. L’autre jambe s’appuyait sur son pied, elle était à demi- accroupi.
Elle voulait en connaitre plus sur l’endroit, ou l’identité du petit garçon. Qui ne tente rien n’a rien, aussi elle tenta de nouveau de communiquer avec lui.

« Onamae wa ? »
[Quel est ton nom ?]

Cela ne fonctionnait pas beaucoup, pourtant elle savait que des langues différentes pouvaient se ressembler… Elle eut une idée et voulu donner un exemple :

« Watashi no namae wa … »
[Je m’appelle…]

Mais elle ne connaissait pas sa propre identité…  Elle essaya autre chose…

« Watashi » dit-elle en se montrant. « Anata » poursuivit-elle en le montrant lui.
Soit il allait comprendre qu’elle voulait dire «moi » et « toi », soit il allait comprendre qu’elle s’appelait Watashi et qu’elle voulait l’appeler Anata… Dans ces deux cas il pourrait comprendre qu’elle cherchait son prénom. Ou alors il n’allait rien comprendre du tout… Elle savait qu’elle pouvait parler au moins une autre langue, mais cela ne lui revenait pas… Peut-être plus tard…  Pour l’instant elle n’avait que les gestes.

Elle attendit un petit moment avant d’enfin montrer le chemin devant elle. Elle haussa un sourcil comme pour poser une question, lui demander où cela amenait.
La jeune femme doutait qu’il était là par hasard et elle voudrait bien qu’elle soit son guide. Au moins jusqu’à un autre adulte qui pourrait la comprendre et lui en apprendre d’avantage.
Elle lui était vraiment reconnaissante.

Le sourire de la jeune femme provoqua une drôle de réaction chez l’enfant. Il avait l’air d’avoir un peu peur, par la suite elle ne sourirait qu’avec ses lèvres.
Lorsqu’elle s’était mise à parler la jeune femme n’avait pas remarqué tout de suite son intérêt pour les mots qui sortaient de sa bouche. Il n’avait pas l’air de les comprendre mais du moins semblait les apprécier. Peut-être qu’il connaissait mais ne se souvenait plus ? En tout cas il restait muet. Elle se demandait s’il était dans l’incapacité de le faire ou si sa timidité l’en empêchait.
Un éclat d’intelligence passa dans son regard lorsqu’elle avait tenté d’apprendre son identité. Non pas qu’il ne s’était pas montré intelligent avant cela, bien au contraire. C’était un enfant mignon et timide, mais aussi courageux et déterminé. Elle était certaine qu’il deviendrait quelqu’un de bien.

Son « guide » tendit ensuite sa main vers la manche de la jeune femme. Cette dernière se laissa agripper. Les yeux de l’enfant posèrent alors une question qui ne fut pas difficile à deviner. Elle croisa son regard et hocha la tête d’un petit coup sec pour lui montrer qu’elle était d’accord et lui faisait totalement confiance.

Confiance… C’était un bien grand mot. Son petit côté mignon était rassurant. Mais cela pouvait être un piège par exemple. Peut-être ne devait-elle pas être décryogénisée ? Peut-être que la sentence pour cette faute sera la mort ? Elle mourrait sans même savoir qui elle était, bien triste destin. Elle n’accusait pas ce garçon, mais peut-être que les autres de son espèce vivant dans cet endroit se servait de lui pour la mettre en confiance justement. Elle regarda en arrière, la porte était en train de se refermer sur une salle, remplie de capsule. Elle n’avait pas été la seule à l’intérieur. A vrai dire elle ne savait pas non plus où elle était. Ni pour la localisation, ni pour le genre de bâtiment…

Son instinct lui disait d’être méfiante dans ces lieux inconnus, et c’était normal. L’Inconnu était toujours angoissant. Ainsi les Hommes aimaient le Savoir, pour se sentir sécurité.
Dans tous les cas, la seule possibilité était de suivre ce garçon. Elle était en quête de réponses, et ce serait tout ou rien.
La peur l’envahit un peu, et elle espérait que le petit ne le sentait pas trop. Elle se releva doucement pour ne pas lui faire peur. Et accepta de le suivre dans les couloirs, en quête de réponses et de découvertes.

[Terminé]